L’accouchement pénible d’une Villarde…

Dès le premier article, plutôt que de vous narrer différentes phases de ce travail, j’ai voulu vous donner à lire des extraits du « Carnet de bord » du sculpteur en taille directe et purement autodidacte : Serge Lombard (j’insiste, tout est dans sa tête et ses mains ; c’est rarissime).
Plusieurs d’entre vous m’ayant fait savoir en ligne directe qu’ils ou elles avaient beaucoup apprécié cette lecture ayant, ainsi, l’impression de suivre cet énorme travail pas à pas ; j’ai donc décidé de continuer cette copie non exhaustive .


Jeudi 21 mai : Le temps gris et frais n’est pas de nature à perturber l’intense activité au pied de ma montagne de sel (le stockage du sel de la commune est son lieu de travail). J’ai embauché, pour la journée, Gilles Vitaloni rompu à l’exercice d’abattre de la grosse besogne ; il a l’habitude, lors de concours ou de commandes, de se « coltiner » des blocs encore plus conséquent que le mien (ndlr : qui fait tout de même près de 4 tonnes).
Journée faste en décibels qui remontent, cela paraît curieux, le moral : faire fondre par-ci ou par-là de -10 cm voir -15 cm la masse de matière me cassait les bras d’avance. Curieux ballet des 2 disqueuses qui, à terme, fait apparaître l’épaule gauche, la cuisse droite ; un ballet qui suppose un équilibre dans la façon d’agir pour ne pas se gêner par la projection de poussière. Ce fut un dépeçage non agressif.

Samedi 30 mai : Le tourbillon de la semaine des ateliers municipaux s’étant tu, je peux m’atteler (la symbolique de la situation, ainsi formulée, peut prêter au cocasse) à la tête de ma vache (ndlr : sous-entendu, en toute tranquillité).

Lundi 1er juin : Stupeur et tremblement, pour reprendre le titre d’un film : descente inopinée de trois des élus « commanditaires » ; si la visite fut courte, mon ressenti durera beaucoup plus longtemps, grossi par le volume de ma perplexité devant les réactions peu manifestes de ces personnes. (ndlr : mais il y a eu aussi d’autres visites agréablement sympathiques).

Mercredi 3 juin : une machine (ndlr : une meuleuse) a rendu l’âme ; cela me rend tendu ; celle de secours est priée de tenir le coup : j’attaque l’ébauche des cornes à réaliser dans 2 blocs distincts chapardés, après une sélection pas facile, dans une décharge de gravats d’urgoniens.

Jeudi 4 juin : Patatrac ! en fin de journée, l’établi de fortune sur lequel je façonne les cornes a pris de la gîte et s’est cassé la figure : j’ai sauvé les cornes comme je pouvais, de la main et du pied gauche ; la disqueuse, avant de stopper net dans ses secondes dommageables, en a profité pour m’entailler le poignet gauche qui, se faisant, a pigmenté d’un vermillon insolite mon lieu de travail plombé de poussière blanche. Point de compression, ouf ! Impressionnant mais sous mon contrôle ; les tendons et l’articulation n’ont pas été touchés. Au final, après un examen médical avisé, mon permis de travailler aux cornes ne m’a pas été retiré ; il a même été augmenté de 3 points de plus, version suture ! Comme quoi, il n’y a pas que la corrida qui soit dangereuse, la sculpture de vache aussi ! (ndlr : vifs remerciements du sculpteur au médecin du Cabinet Médical de VDL pour son intervention).

Mercredi 10 juin : Toujours le même thème, comme le chante une certaine Vanessa ; fesse gauche, cuisse droite, une histoire d’arrière train qui commence à traîner je trouve.
Ah ! La visite à proximité, pendant plus d’une heure, de deux papillons qui pataugeaient à proximité de l’aplomb du robinet m’enchantaient et me ravissaient ; tant de beauté et de légèreté à l’insu de l’activité ravageuse des humains qui turbinent à fond les manettes ! Qu’est-ce qui peut, sous une bétonnière voisine du local à sel, les retenir dans ce marigot improbable ? Le substrat est-il de nature à faire croître des levures, des enzymes ou que sais-je de nature à les alimenter ? Mystère ! Mais 2 machaons cela change des argus qui accourent déjà, des cuivrés, des vulcains et autres papillons [1] qui s’immiscent, une fraction de seconde, dans mon champ de vision malgré le port de lunettes de protection.

Jeudi 18 juin : La visite de quelqu’un qui connait les vaches est toujours un moment fort, à double tranchant, qu’il ait été éleveur ou qu’il soit issu d’une famille paysanne. On salue ma performance qui en impose par le volume (ndlr : environ 4 tonnes d’un bloc de calcaire urgonien du Vercors [2]) mis en œuvre, puis des remarques portant sur les excès ou les manques de matières à tel endroit s’insinuent avec une discrétion courtoise, j’allais dire « sournoise ». Là, j’ai dû me cramponner ; je ne sais pas à quoi, puisque, à l’inverse de Picasso qui fanfaronnait avec aplomb, « je ne cherche pas, je trouve » ! Moi je ne fais que chercher dans mon gros caillou, avec le doute omniprésent.
Mine de rien, c’est qu’ils me déstabilisent pendant quelques instants ces fugaces membres d’un jury inopiné, presque virtuel. Mais, j’ai toujours quelque chose à glaner, un élément complétif, dans les propos d’une fille ou d’un fils de paysan de naguère, d’un neveu d’ancien maquignon, voir même d’un boucher qui abattait les bêtes dans les abattoirs locaux. Moi aussi, je pratique la filière courte : urgonien 100% du pays !

Mercredi 24 juin : Toujours la même « surprise - frayeur » ! Absorbé par mon travail, je suis comme un plongeur qui, remontant à la surface, s’aperçoit qu’il y a un monde autour de lui, voir du monde ; (et, du scaphandrier, j’en ai un peu quelques similitudes, dans l’usage inconditionnel d’un protocole ; le mien c’est : masque à poussières, protection par un foulard pour éviter le colmatage abusif des cartouches (ndlr : incluses pour le bon fonctionnement du masque anti-poussières), lunettes protectrices, bouchons d’oreilles puis casque anti-bruit).

Il y a un type qui m’observe à quelques mètres et qui me lance : « tout à la disqueuse ! » Que devais-je comprendre par-là ? Que ce costaud gugusse était déçu de ne pas me voir avec une massette et un ciseau ? Je sentis que j’étais piqué au vif, mais j’avais autre chose à faire que de prendre les 2 minutes 30 nécessaires pour retirer mon attirail après un passage à la soufflette (ndlr : petit appareil pour enlever la poussière) pour lui répondre : une disqueuse qu’on emploie presque sans arrêt en tangente, en oblique, voir en surplomb, pesant en moyenne 7 kilos avec le disque, réclamant par la vigilance que son usage impose la sollicitation constante des poignets, des avants bras, bras et épaules…. « une disqueuse ne fait pas tout » lui répondis-je, assuré que le fait de parler comme Donald duck ou l’animateur d’Ushuaïa, à travers mon masque, me rend peu compréhensible. (ndlr : avec trois mois de délai alors qu’il en faut six à huit, voir un an, pour réaliser cette sculpture grandeur nature, Serge Lombard ne pouvait que choisir cette solution, afin de gagner du temps, pour aborder ce calcaire urgonien qui est une pierre dure, ce qui ne l’a pas empêché d’employer tout autant la massette et le ciseau).
Et pourquoi aurais-je dû perdre du temps avec ce gus qui n’a rien à faire dans mon champ de vision : ça ne se voit pas que c’est un laboratoire (aléatoire, il faut en convenir…) ici. N’importe quel labo, digne de ce nom, lui aurait illico envoyé 1 cerbère, 2 molosses ou 3 vigiles pour le remettre à sa place. Donc, le mieux, ce fut que je retourne en plongée (c’est tellement vrai, puisque cette pierre s’est constituée au fond d’une mer… !) et que l’autre regrimpe dans la cabine de son bac à sable de 25 ou 30 tonnes ! (ndlr : je rappelle, à nouvau, que le bloc de pierre urgonien du Vercors pesait près de 4 tonnes et que la villarde, quasi terminée, pèse actuellement un peu plus de 3 tonnes).

Et voilà, Sisymbre (tel est le prénom de la villarde) [3] a été placée lundi matin, 3 août, sur le petit sommet du rond-point de Bréduire, où aboutissent les routes des Gorges de la Bourne et du Méaudret.
A temps pour l’inauguration de la Foire du Bleu qui aura lieu le samedi 8 août.
Juste avant, à 9h30, aura lieu la réception de Sisymbre à ce même rond-point, où vous êtes tous invités ; les membres du Conseil Municipal de Villard-de-Lans ont déjà envoyé un « carton » aux élus vertacomicoriens et d’outre Vercors.

Serge Lombard s’est attelé à la vachette qui rejoindra sa mère un peu plus tard. Vous serez tenus au courant.

A voir aussi : le film de VercorsTV.

Henrianne van Zurpele © texte et photos - pour www.initiatives-vercors.fr - 1er août 2015.


[3Sisymbre, c’est aussi le nom d’une plante à fleurs jaunes qui appartient à la famille des brassicacées. Il vient du grec « Sisymbrion » qui désignait une sorte de cresson. En latin : Sisymbrium, a des propriétés médicinales sur la voix et les poumons. 



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