L’aménagement du rond-point des Geymonds à Villard de Lans, le cadeau de Noël 2012 et 2013 aux villardiens (suite 3 et fin).

A l’occasion des deux précédents articles annonçant l’arrivée d’une famille d’ursidés sur le rond-point des Geymonds, leur « créateur », Serge Lombard, sculpteur en taille directe, a terminé la « tranche 2013 », non sans grandes complications démoralisantes, le jeudi 26 septembre 2013...

Précédents épisodes :
 L’aménagement du rond-point des Geymonds à Villard-de-Lans.
 Les ours de nouveau à Villard... Reportage en images.

Une famille recomposée ?

Le grand ours mâle a rejoint, ce jour-là, Maelina, Tilda et Tilou sur le sommet du rond-point des Geymonds. Nilsk accueille les automobilistes, et les rares piétons allant en direction de Villard-de-Lans ; Maelina et ses oursons semblent se diriger vers la zone artisanale ou plus loin, vers les montagnes, où vivaient ses ancêtres.
Même la narratrice de cette saga de la famille d’ours villardiens, était persuadée qu’immanquablement ce serait le « père ours » qui rejoindrait le petit groupe. Seul, le sculpteur en pensait tout autrement. Il nous rappelle : « les ours vivent en solitaires, ils n’ont pas le sens de la famille tel que les humains l’entendent. Les mâles cherchent une femelle juste pour procréer, parce que c’est l’ordre de la nature  ».

Nilsk est donc le fier et bel étranger qui est arrivé au sein du groupe d’ursidés.

Le cheminement…

Le repérage de trois blocs de pierre en calcaire urgonien du Vercors, susceptibles de devenir l’ours mâle dans toute la force de l’âge, avait été fait en forêt villardienne, avant l’assaut du rigoureux hiver dernier. Le premier qui fut descendu de la montagne, le 30 août 2012, bien que d’allure magnifique, s’est vite révélé, sous le ciseau et la massette du sculpteur, totalement inutilisable ; ses défauts dus au passage des millénaires ne permettaient pas de le transformer en ours adulte, Serge Lombard explique : «  Dans un premier temps, ce bloc avait retenu mon attention, ses dimensions, de presque deux mètres vingt, permettant d’y « inscrire » l’ours dressé. Mais il était constitué de trois « bancs », trois strates [1] bien distinctes dont il convenait de savoir si elles adhéraient les unes aux autres. Or, l’examen avec les outils me révéla la présence régulière de lacunes [2] oxydées entre chaque strates, hypothéquant gravement le besoin de cohésion que réclame le fait de « sortir » du bloc des volumes en saillie, en porte-à-faux, c’est-à-dire en défiant la loi de la pesanteur ».
Ce fut, pour le sculpteur, une première désillusion. Il ne faut pas perdre de vue que ces blocs ont au moins vingt à cent mille ans (si pas plus) d’existence dans la montagne, ni que les divers bouleversements climatiques, survenus au cours des âges, les ont détachés de leur base les faisant rouler sur les pentes en heurtant nombre d’obstacles.

Le début du calvaire pétrographique ursique.

S’agissant de pierres "sauvages" avec leurs défauts à vaincre, des soucis ont existé pour Serge Lombard, l’an dernier, lors de la création de Maelina, Tilda et Tilou ; pour l’adulte mâle, elle lui a été des plus difficile et épuisante à la fois physiquement, techniquement et mentalement. Plusieurs fois, il aurait voulu jeter ses outils aux orties et disparaître dans la forêt proche… La pierre le défiait, il l’a vaincue.

La neige ne voulant pas nous quitter trop rapidement au printemps 2013, il a fallu attendre son bon vouloir afin que les engins du Service technique de Villard-de-Lans puissent monter chercher le deuxième bloc de pierre.
Serge Lombard m’explique sa quête suivante à travers la montagne villardienne : « Dans le courant du mois de Mai, je suis remonté au-dessus des Glovettes afin de revoir un bloc aux dimensions conséquentes que j’avais boudé en 2012 pour deux raisons, d’une part il était trop massif, ce qui me forcerait à retirer trop de matière, et, d’autre part, j’avais des doutes sur la fiabilité de ce bloc qui présentait des « lits » [3] assez régulièrement espacés. La présence d’un « lit » n’est pas en soi une tare, c’est une faiblesse qui peut n’être que locale ; elle devient ravageusement handicapante si elle traverse le bloc de part en part, le transformant, en quelque sorte, en « millefeuille » !

J’ai procédé à un petit essai avec des outils mécaniques ; à l’échelle du mètre cube, la cohésion était là, le matériau avait la texture et la couleur habituelle que je lui connais bien. J’ai donc décidé de tenter ma chance avec cette pierre avoisinant les trois tonnes… ! Au bout de trois semaines d’ébauche grossière, le constat s’est imposé, ce bloc n’était pas crédible parce que les « lits », s’il ne le traversaient pas de part en part, étaient source de faiblesse pour tout ce qui réclame de la tenue, tels un cou, une patte, une base qui doit supporter une masse. De surcroît, l’ébauche première me révéla des fissures suspectes dans ce qui tient de « chanfrein », c’est-à-dire l’os du nez. Mais, si j’abandonnais l’idée de livrer au rond-point des Geymonds un tel rocher sculpté, il était hors de question de le jeter aux orties ; d’abord à cause de l’énergie que je lui avais injectée (NDLR : durant 1 mois), aboutissant à une ébauche somme toute plaisante, ensuite du fait que je percevais dans la couleur et les rudistes présents dans la pâte urgonienne un fort potentiel de beauté à mettre en valeur. Il y eut donc une période intermédiaire pendant laquelle j’intervins encore sur ce qui deviendrait « MATHURIN », en position de passage de témoin à un autre bloc de pierre vercorien qu’il me restait à trouver. C’est donc le moral démoli que je me remis à courir les alentours de Villard-de-Lans  ».

« Jamais deux sans trois, dit un adage »…

Je laisse la parole à Serge Lombard :

« Repéré dès l’automne 2011, en forêt, au-dessus du hameau des Bouchards, alors que le projet « rond-point » n’en était qu’à ses balbutiements, il y avait un bloc morainique [4] auquel j’ai souvent rendu visite au printemps 2012 pour trouver de quoi réaliser l’ourse adulte. Il faisait l’objet de ma plus vive attention car sa rondeur massive, sortie d’un écrin de mousses au creux des arbres, me fascinait malgré des marques notoires du travail de l’érosion. Sélectionné en 2012, en quelque sorte, mais non finaliste à l’époque, je retournai, après avoir peiné en journée, sur le futur « Mathurin », jauger, palper ce silencieux bloc qui vivait sa vie en sous-bois depuis des millénaires sans prétendre une quelconque accession à un rôle public. Je pris donc la décision de le nommer successeur au deuxième bloc. Sa « récolte » fut aisée, sans heurt, avec souplesse. L’opération était surprenante dans le sens que si l’on voit sortir des grumes ou des champignons des forêts, il est beaucoup plus rare que des blocs de pierres, endormis depuis huit ou dix mille ans, soient brutalement projetés vers une autre destinée.

En fait, j’ai « attaqué » le troisième bloc, sans fanfaronner, étranglé d’inquiétude, aux aguets, prêt à déceler des « vices de formes » vouant à l’échec cette nouvelle entreprise. Il y eut, en effet, quelques belles séances de stress dues à cette équation : avoir assez de matière à tel endroit, de qualité si possible, pour « sortir » le museau, les oreilles, le cou et les pattes. Ce serait mentir de dire que le parcours fut agréable, loin s’en faut. Mais, au creux des centaines de kilos de gravats produits, il était réconfortant, voir tonifiant, de constater que la combinaison des couleurs fauve et grise recelant des petites merveilles constitutives de l’urgonien, à la recherche des volumes de l’ours adulte, était de nature à offrir au spectateur un rendu puissamment expressif. »

La touche finale.

Deux grandes lauzes, provenant de Méaudre, avec l’accord de Monsieur le Maire, Pierre Buisson, et son conseil municipal, ont été posées en novembre 2012, dans le prolongement des regards des trois premiers ours. Sur l’une, Serge Lombard a sculpté lys martagon et jonquilles ; sur l’autre, une ferme typique du Vercors. Tandis que des empreintes de pattes d’ours, travaillées à la verticale, de dimensions exactes (17/22 cm à l’avant et 28 cm à l’arrière), sont bien visibles sur les lauzes placées devant Nilsk.

Je laisse à nouveau la parole à Serge Lombard : « Dans mon projet, la présence de la sculpture du mâle était à compléter par l’adjonction de lauzes dressées. Ce complément minéral vient ici en rappel de l’omniprésence des falaises, celles-ci garantissant par la raideur ou la complexité topographique de leurs abords, un milieu naturel empreint de sauvagerie. Elles sont représentantes d’un élément puissant de l’architecture rural du Vercors, fruit du labeur des paysans se faisant carrier à l’occasion. Elles sont également associées à cet ours, pour suggérer la relation pluriséculaire entre les activités de l’homme et la présence du plantigrade. Enfin, pour voir surtout et faire remarquer ensuite que cet agencement minéral, introduit dans la masse de ce rond-point, est une ligne de force qui souligne et renforce la stature de l’ours, Nilsk. Une ligne de force animée, je l’espère, d’une certaine tonicité graphique et colorée  ».

Huit cent quinze heures ont été nécessaires à la création de cette famille d’ursidés et de leur environnement pétrographique de dix tonnes au total, dont quatre cents tonnes pour les lauzes. Trois « caches spots », également en calcaire urgonien du Vercors, creusés dans trois « patates » de trente kilos chacune, ont été jointes à l’ensemble, pour le plaisir de Denis et de toute son équipe.

Remerciements...

Il faut le dire à nouveau, Serge Lombard n’aurait certainement pas pu mener à bien Nilsk Maelina, Tilda et Tilou, sans l’aide et le soutien précieux de :
Denis Arnaud, Responsable du Centre Technique Municipal, et de ses collègues de travail : Marie Laure, Thomas, Sébastien et Grégory, du Service Espaces Verts ;
Justin, Gilles, Philippe, Serge, Jean-Claude, Cédric et Boris, du Service Voirie, dont certains, conducteurs d’engins monumentaux, nous ont épatés par leur étonnante et stupéfiante dextérité ;
Sylvain, Nicolas et Joël, du Service Menuiserie, pour le coffrage du socle.
Enfin, Guillaume, de l’Entreprise BBC, qui, avec son habilité et la force de sa grue, a mis en place le groupe d’ursidés ainsi que les quatre grandes lauzes, sur le rond-point des Geymond, devenu celui « des Ours ».
Magnifique animal emblème de Villard-de-Lans, comme il est aussi celui de Berne, en Suisse et de Berlin, en Allemagne.

Nota bene :

Serge Lombard est le premier et le seul sculpteur qui s’est engagé sur la mise en valeur artistique du calcaire urgonien du Vercors, en taille directe, depuis 1989. Sa première sculpture, dans ce matériau, fut un « Faucon crécerelle ». Cette pierre a un merveilleux facies sédimentaire du Crétacé ; il peut être de couleur beige clair ou plus foncé, plus rarement, rosé. Ces couleurs peuvent être mélangées sur un même bloc. Il est traversé, en tous sens, de veines de calcite, quelquefois légèrement brunes, et contient parfois des traces de fer, mais aussi des ammonites et autres diversités de coquillages, tous de tailles différentes.
De par le patient travail, manuel, de polissage de Serge Lombard, il a été prouvé que cette pierre peut être considérée comme étant marbrière ; pour cette raison, une de ses sculptures, est entrée, au mois de novembre 2007, au Musée du Marbre de Rance, en Belgique. D’autres sculptures créées dans ce matériau sont dans des musées, et chez des collectionneurs des œuvres de Serge Lombard, même hors de France.
En décembre 2011, lors du reportage réalisé sur lui, pour FR3, le journaliste, Patrice Morel, le présentait comme étant un « ciseleur d’oiseaux et de mammifères, statuaire du roc, tagueur des cavernes qui se frotte à la matière rugueusement…  ».

Meilleure année 2014, à tous.

Henrianne van Zurpele – Texte et photos ©
Pour initiatives-vercors.fr - 21 décembre 2013


[1Couche formée par des roches sédimentaires et certaines roches métamorphiques. Elle peut mesurer de moins d’un mètre à plusieurs mètres.

[2Une lacune est l’absence (totale ou partielle) d’une couche. Ce manque serait dû à un arrêt temporaire de sédimentation ou d’érosion sur une période de temps.

[3Niveau de faible épaisseur d’une formation sédimentaire ; séparation naturelle de la masse de roche en banc.

[4Débris arraché à la montagne et entraîné par le glacier.



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