[Témoignage] Promenade au village...

Isabelle nous fait part de ses observations sur un de nos villages, observations relevées lors d’un recensement de la population du village d’Autrans...

Quand au premier jour du recensement - que les instituts de statistiques se plaisent à programmer l’hiver – je m’élançai sur les chemins verglacés, dans le froid, le brouillard et la neige, jusqu’en des zones limitrophes aussi escarpées qu’obscures la nuit venue, ma démarche, toute civique fût-elle, m’apparut soudain insensée : de quel prix allais-je payer cette mission : engelures, chutes, virus divers contractés au contact d’une population terrassée par la grippe… ? L’entreprise s’annonçait périlleuse, mais il était trop tard pour s’y dérober.

Affectée au secteur ouest du village, dont je ne connaissais rien sinon sa réputation de « petite Nice », je m’endurcis peu à peu à l’épreuve des intempéries, et pris rapidement goût aux rencontres insolites que m’offrait ce droit d’ingérence – aussi furtif fut-il - dans les foyers.

De par leur disponibilité, leur propension à raconter, à se confier, les anciens constituent la génération la plus accessible et naturellement la plus éclairante sur l’histoire des lieux. Car nous, les un-peu-plus-jeunes, nous sommes possédés de la nostalgie de ce temps révolu où le cœur du village fleurait bon l’étable, où l’on tombait amoureux pour toujours, où les hommes n’étaient dirigés que par les caprices de la nature, les impératifs du climat et du cycle des saisons. Il semble que régnât alors une douce harmonie, libre de toute injonction extérieure, que vécut là une communauté travailleuse et solidaire, respectueuse de sa terre, humble.

Un rapide coup d’œil sur le décor donne la mesure du fossé qui sépare un foyer « moderne » - où le « matériel » mange l’espace jusqu’à l’étouffer parfois - de celui d’un vieux paysan, où le dépouillement des pièces laisse à voir, à deviner, à respirer, vous entrainant d’emblée vers un passé mi-austère mi -serein, où le poêle à bois ronflait tout au long du jour, diffusant cette bonne chaleur enveloppante et rassurante, et qui, souvent, m’encourageât à demeurer un moment, à réchauffer mes pauvres mains congelées tout en causant des choses du monde.

Là on vous parle de chasse à la grive, de bûcherons, de bêtes de somme, de petits commerces évanouis, d’hommes et de femmes appliqués à la tâche, d’une vie paysanne simple, collective, à l’air libre, jusqu’au virage de 68 où certains jeux olympiques puis l’essor du tourisme vinrent bouleverser la configuration urbaine des lieux. On ne s’en plaint pas, c’est comme pour tout, « c’était mieux avant, mais on n’arrête pas le progrès ». Aujourd’hui la moitié des résidences dénombrées à Autrans sont secondaires.

Les patronymes vous renseignent sur les mouvements de population, l’immigration italienne, les familles de souche dont le nom résonne aux quatre coins de la commune. Les plus vieux sont nés là, à la ferme, dans la pièce voisine. Ils connaissent la maison où vous habitez aujourd’hui, son histoire, ses occupants successifs. Ils ne sont pas farouches, au contraire, ils sont tout disposés à instruire votre curiosité de « néo rural » saturé de modernité, d’agitation creuse. Vous les quittez avec quelque offrande en poche, une carte postale du village avant guerre, deux œufs frais pondus… et l’envie de revenir, un jour. Parfois vous refermez la porte sur un malheur dont on vous a fait la confidence, ou que vous avez perçu d’instinct, dans la crispation d’un geste, d’une voix. Vous en portez un temps le poids, mais bientôt l’air glacé du dehors vous électrise et vous rappelle à vous-même et à votre mission.

Si votre méconnaissance du terrain vous entraine dans des voies périlleuses, et qu’une fâcheuse manœuvre projette votre véhicule dans le fossé, vous pouvez compter sur l’agriculteur du coin. Il sortira son tracteur à toute heure pour vous tirer d’affaire.

Vous n’échapperez pas aux désinvoltes qui vous font repasser dix fois ni aux suspicieux qui s’interrogent sur l’exploitation de votre enquête par quelque obscure antenne fiscale, mais qui ne peuvent s’y soustraire : le recensement est obligatoire.

Pour avoir été arpentés en tous sens, hameaux et chemins vous sont devenus familiers. On sait qui habite où. On y revient les yeux fermés. Eux aussi vous parlent : la rue du Connétable, le chemin du Manoir, l’impasse de la Tour, suggèrent la mainmise, jadis, de quelque seigneur sur la région ; le champ du Grenadier un climat autrefois plus doux, la rue du Cinéma, la voie du village olympique et celle de la foulée blanche pérennisent le souvenir des événements prestigieux qui ont encore ou eurent lieu ici-même, conférant à ce petit village du Vercors une célébrité naguère impensable.

Le recensement s’achève, vous courrez après les retardataires, opérez quelques vérifications, levez un doute ; soucieux de n’oublier personne. Vous aurez ainsi ratissé votre district, exploré son habitat, - de la ferme à l’hlm - hétéroclite dans sa fonction et son architecture ainsi que le veut le courant des choses.

En longeant le cimetière capitonné de neige, vous aurez une pensée pour ceux qui dorment là et qui furent les acteurs de ces histoires qu’on vous a contées.

Et votre point de vue sur le village n’aura pas changé d’un iota : il fait bon vivre à Autrans.

Isabelle Marin pour Initiatives-vercors.fr.



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Messages

    Très jolie description mais tout de même, comme vous le dite, folie de vous faire exécuter ce service cyvique en hiver !! c’est bien là l’idée d’un (e) "employée de l’Etat" assis(e) bien au chaud à son bureau !
    Mais peut-être n’avez-vous pas été mise au courant des anciennes querelles de voisinage avec les habitants de Méaudre...un ou une autranais(e) ne pouvait épouser un ou une méaudrais(e).... J’en passe et des meilleurs... Certaines sont encore de mise actuellement, transmises dans les familles...

    Bravo pour votre texte...si bien écrit , si réaliste.J’ai retrouvé ce que j’ai vécu , il y a quelques années , dans ma mission sur Villard de Lans...J’ajouterai que les personnes les plus chaleureuses, les plus accueillantes sont des personnes à la vie modeste, simple et vraie...pour les autres , j’ai ressenti de la méfiance , attendant sur le seuil de la porte de la belle villa, dans le froid avec un bonjour , prononcé du bout des lèvres...et comme vous , je me suis demandée pourquoi les recensements se font en hiver ?

    Merci Isabelle pour cette belle description poétique d’un coin d’Autrans... beau témoignage !

    Bravo pour cette belle description, bravo pour vos talents d’écriture !
    merci
    j’ai adoré

    • nous avons eu la joie de vous recevoir pour le recensement.

      vraiment, un oeil nouveau dans notre village d’Autrans nous apporte un regard sortant des maisons du village.

      très touchant, le regard également jeté sur le cimetière et c’est bien de nous redire que ce sont ces personnes qui ont forgé le paysage que nous admirons chaque jour.

      Merci Isabelle de nous informer et de "réveiller" nos sens quelque fois insensibles.
      j’ai aimé
      Christiane

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